Cerveau et apprentissage : que dit la science ?
Comprendre le fonctionnement de cet organe essentiel à la connaissance, c’est permettre au corps enseignant d’améliorer les apprentissages chez l'enfant. Par Stéphanie Zeitoun
Les sciences cognitives permettent de comprendre de mieux en mieux les mécanismes d’apprentissage pour déterminer les situations dans lesquelles ils sont meilleurs, et les causes des difficultés. Ces connaissances ne dictent pas les lignes de conduite pédagogiques, mais donnent des idées de pratiques à essayer. Les sciences cognitives fournissent aussi des méthodes expérimentales permettant de mesurer et de comparer l’efficacité de ces propositions.
Selon Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS au sein de « l’Institut d’Étude de la Cognition », c’est leur contribution la plus utile, et malheureusement inexploitée en France : « Pour donner un exemple concret, les mécanismes de la mémoire sont bien connus des psychologues scientifiques mais très peu des enseignants. Pourtant les résultats des recherches (parfois anciennes !) donnent des indices clairs sur tout un ensemble de pratiques que les enseignants pourraient mettre en œuvre pour aider leurs élèves à mieux apprendre et mémoriser. » Unir les connaissances des chercheurs et des équipes pédagogiques pourrait donc avoir un impact bénéfique sur la réussite des élèves. Le débat est ouvert…
Lecture : l'avancée des neurosciences
Prenons l’exemple de la lecture. Tout apprentissage a une incidence sur le cerveau, celui-ci se modifiant en permanence selon les stimulations. Des années d’études ont permis d’identifier les réseaux neuronaux impliqués dans la lecture, dans une « aire visuelle des mots » de l’hémisphère gauche, similaire à celle qui traite les visages dans l’hémisphère droit. Connaître la spécificité de chaque région cérébrale et leur inter-connectivité permet de cerner comment un mot, un son, une image mettent en marche des zones plutôt que d’autres. Ainsi, il a été clairement établi que la lecture nécessite des compétences phonologiques préalables, qui découlent du langage oral. Bien que l’acquisition de ce dernier émerge naturellement, l’apprentissage de la lecture nécessite un entraînement intense. Ainsi, l’enfant déchiffre un mot via le langage oral avant de le décoder dans sa forme visuelle. « Comprendre ce fonctionnement est une véritable clé dans l’apprentissage de la lecture ; plus l’enfant va lire, plus la zone visuelle des mots va fonctionner de manière automatique mais toujours en connexion avec celle du langage oral », précise Johannes C. Ziegler, directeur de recherche au CNRS, Aix-Marseille Université.
La lecture nécessite des compétences phonologiques préalables, qui découlent du langage oral.Cela remet en perspective la place de l’intelligence dans la capacité à apprendre à lire. Sylviane Valdois, directrice de recherche au CNRS au sein du « Laboratoire de Psychologie et Neurocognition », souligne l’importance de ces recherches sur la dyslexie ; cela apporte une vérification neurobiologique en plus de l’aspect comportemental, pour mettre en place une rééducation ciblée. La passerelle entre les neurosciences et le savoir-faire de l’Éducation nationale est encore à un stade embryonnaire, mais les hypothèses scientifiques ont déjà pu remettre en question la méthode globale comme seule alternative à l’apprentissage de la lecture.
De nouvelles perspectives en matière d'éducation
L'anatomie du cerveau influe sur le contrôle cognitif, compétence essentielle pour l'apprentissage et la réussite scolaire. C'est le résultat de travaux menés par le « Laboratoire Psychologie du Développement et de l'Éducation de l'enfant » (LaPsyDÉ), dirigé par le Professeur Olivier Houdé (CNRS/Université Paris Descartes/Université de Caen Basse-Normandie), en collaboration avec le centre NeuroSpin (CEA). Les chercheurs Arnaud Cachia et Grégoire Borst ont montré que l'asymétrie entre les deux hémisphères cérébraux pour un motif particulier d'une région du cortex préfrontal expliquait une partie des performances d'enfants de cinq ans sur une tâche qui permet de mesurer le contrôle cognitif. D'après les chercheurs, selon les caractéristiques de leur cerveau, les enfants pourraient avoir des besoins pédagogiques différents en matière d'apprentissage du contrôle cognitif. Ces travaux, publiés en ligne sur le site du Journal of Cognitive Neuroscience le 30 novembre 2013, ouvrent de nouvelles perspectives en matière d'éducation.
L'anatomie du cerveau influe sur le contrôle cognitif, compétence essentielle pour l'apprentissage et la réussite scolaire.En allant plus loin encore, l’équipe d’Olivier Houdé publiera très bientôt un suivi longitudinal de ces mêmes enfants jusqu’à dix ans. Les résultats confirment que, tout au long du développement, l'anatomie du cerveau de chaque enfant influe sur ses capacités de contrôle cognitif. Cette seconde étude paraîtra en juillet 2014 dans le journal Developmental Cognitive Neuroscience (elle est déjà accessible sur son site internet). Selon Olivier Houdé, ce contrôle cognitif du cerveau permet notamment l’inhibition, au sens positif du terme. L’inhibition est une forme de contrôle neurocognitif et comportemental qui permet aux enfants, à l’école comme à la maison, de résister aux habitudes ou automatismes, aux tentations, distractions ou interférences, et de s’adapter aux situations complexes par la flexibilité.
Ce contrôle cognitif est par exemple essentiel à la capacité de raisonnement, comme le montre Olivier Houdé dans son dernier Que sais-je ? sur ce sujet paru en février 2014 aux PUF. D’où l’importance d’identifier les caractéristiques du cerveau de chaque enfant en matière de contrôle cognitif pour mettre au point des interventions pédagogiques ciblées, à l’école maternelle comme en élémentaire.
Plasticité du cerveau
Enseignante en classes préparatoires et formatrice, Stéphanie Crescent livre sa perception des sciences cognitives dans son travail quotidien : « Lorsqu'un élève en sait davantage sur la manière dont son cerveau fonctionne, il est plus apte à le piloter efficacement. On sait que les émotions négatives ralentissent l'apprentissage. On sait par ailleurs grâce aux travaux sur la plasticité cérébrale qu'un cerveau heureux, curieux et émerveillé est plus efficace pour comprendre. » Un enseignant qui a conscience de cela n'humilie donc pas un élève en lui rendant sa copie ; il fixe des objectifs accessibles à chacun individuellement et encourage les progrès, même embryonnaires, afin de lui redonner confiance. « Surtout, on nourrit le circuit de la récompense existant dans le cerveau. En retirant à chacun son étiquette de cancre, on lui permet de croire en lui et on émerveille son cerveau, qui est alors en alerte pour recevoir les nouvelles informations que l'on a à lui faire découvrir. Quand les élèves prennent conscience de la manière dont leur cerveau encode les informations, ils ont davantage de possibilités pour travailler. Les sensibiliser aux "intelligences multiples" est par conséquent capital », affirme la professeur.
De nombreux scientifiques étudient ainsi les compétences visuelles et spatiales liées aux troubles des apprentissages, les fonctions motrices, les compétences musicales, l'impact de l'exposition à la nature sur l'apprentissage, l'impact de la méditation sur la concentration, la gestion des émotions, etc. « Nous, enseignants, devons stimuler plusieurs intelligences en même temps, afin de permettre un encodage plus efficace du cerveau. En avoir conscience est un gage de réussite pour l’avenir de nos enfants », conclut Stéphanie Crescent.
Entraînement à la musculation cérébrale
Il n’existe pas de remède miracle pour améliorer ses performances cérébrales. Néanmoins, il est clairement établi que plus on utilise son cerveau, plus il fonctionne. L’apparition de la maladie d’Alzheimer est retardée par des activités cérébrales ; cet entraînement améliore aussi le fonctionnement du cerveau des enfants présentant un retard cognitif. Sous Ceaucescu, des orphelins roumains livrés à eux-mêmes avaient un cerveau plus petit que la normale. Les stimulations sont donc indispensables tout au long de notre vie. « Néanmoins, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, rappelle Pierre Gressens, directeur au sein du centre "neurosciences et neuropédiatrie" de l'Hôpital Robert-Debré. Certains parents soumettent leur enfant à d’innombrables activités pensant augmenter leur intelligence. C'est totalement inutile. La capacité à lire à 6 ans peut apparaître à 4 mais correspond à une facilité naturelle. Chaque stimulation doit être raisonnable et variée. »
Tout comme un muscle, le cerveau a besoin de travailler pour se développer ; l’apprentissage est donc un exercice bénéfique. « Un cerveau qui apprend est un cerveau heureux, gage de longévité. Il se reconfigure sans cesse, établit des connexions synaptiques, fait des liens en permanence. Pour favoriser l'apprentissage et l'émerveillement, il faut être entouré affectivement, rester curieux, dormir, boire et manger selon ses besoins, ne pas être exposé au stress chronique, ne pas consommer de psychotropes et avoir une activité physique régulière », explique Stéphanie Crescent. Formatrice de futurs enseignants, son approche optimiste laisse augurer un bel avenir aux neurosciences de l’éducation.
En savoir plus
Apprendre à lire – des sciences cognitives à la salle de classe
collectif, Éditions Odile Jacob (2011), 155 pages, 14 euros
Les Neurones de la lecture
de Stanislas Dehaene, Éditions Odile Jacob (2008), 478 pages, 29 euros
Lire, une année d’apprentissage de la lecture au CP
Centre national de documentation pédagogique (CNDP)