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Primus Magister et autres sorbonagres...

Érudits à l'université de Paris (d'après une gravure médiévale) / Crédit photo : Leonard de Selva/Corbis Érudits à l'université de Paris (d'après une gravure médiévale) / Crédit photo : Leonard de Selva/Corbis

Qui a créé les premières écoles et universités de France ? Existait-il un enseignement autre que religieux ? Qui recevait une instruction ? Premier volet de notre série sur l’histoire de l’école. Par Olivier Marbot

Commençons par tordre le cou à une vieille idée préconçue : non, Charlemagne n’a pas « inventé l’école ». Le mythe, alimenté aussi bien par les images d’Épinal que par les chansons populaires, a la peau dure. Mais ce n’est qu’un mythe. L’empereur, s’il a bien encouragé l’éducation et mis en place une « école du palais », n’a pas rendu l’enseignement obligatoire. Et encore moins créé un lieu d’apprentissage ouvert à tous.

La seule logique permet d’ailleurs de mettre en doute la légende : comment imaginer que la France, ou ce qui en tenait lieu, n’ait possédé aucun système d’enseignement jusqu’à la fin du VIIIe siècle ? L’apparition des premières écoles est, évidemment, bien plus ancienne. Et date sans doute de l’invasion de la Gaule par les troupes romaines. À l’enseignement, purement oral, dispensé jusqu’alors par les druides et les bardes, l’occupant romain substitue son propre système, inspiré de celui des Grecs. Dès le Ier siècle après Jésus-Christ, la Gaule dispose d’un vrai réseau d’écoles que l’on pourrait presque qualifier de « publiques », dans la mesure où l’empire participe à leur financement, via un système d’exemptions fiscales et de bourses. Les établissements, déjà, se classent en trois catégories. L’école primaire prend en charge les garçons et les filles âgés de sept à onze ans environ, qui apprennent le calcul, la lecture, l’écriture et la récitation sous l’autorité d’un Primus Magister. Un enseignement réservé aux enfants des citoyens romains les plus aisés et, très probablement, à ceux des élites gauloises.

Les Romains introduisent le droit à l'école supérieure, car ils jugent l'enseignement grec trop théorique.Ceux qui poursuivent leurs études au-delà de la primaire fréquentent, de onze à quinze ans, des écoles secondaires où la formation est plus littéraire : grammaire, récitation de textes des grands auteurs. Les filles, là encore, fréquentent l’établissement au même titre que les garçons. Une petite minorité d’élèves complète sa formation dans une école supérieure, où elle est formée à l’art oratoire, mais apprend aussi le droit, une innovation introduite par les Romains qui jugeaient l’enseignement grec insuffisamment pratique.

Mainmise de l'Église sur l'éducation

C’est aussi sous influence romaine que l’éducation, peu à peu, devient religieuse, et plus précisément chrétienne. Après l’édit de Milan, en 313, par lequel l’empereur Constantin lui accorde un statut privilégié, le christianisme devient, en 391, religion d’État. L’école, comme le reste de la société, voit grandir l’influence de l’Église. Pas immédiatement d’ailleurs : aux IVe et Ve siècles, les chrétiens sont surtout occupés à établir leurs dogmes, à définir la liturgie. Et conservent, peu ou prou, les principes éducatifs hérités des Grecs et des Romains. Mais au VIe siècle, un système éducatif nouveau voit le jour. Les trois niveaux d’éducation ont-ils leur logique ? La nouvelle religion a-t-elle voulu, dans ce domaine comme dans d’autres, s’approprier des habitudes antérieures ? On retrouve en tout cas trois types d’établissements. Les écoles monastiques, ou claustrales, sont les premières à apparaître. En théorie, elles accueillent exclusivement les enfants appelés à entrer dans les ordres. Rapidement, toutefois, des écoles épiscopales – les « petits séminaires » – voient le jour et prennent en charge un public plus large et plus varié. Enfin, à partir du Concile de Vaison, en 529, l’Église prescrit à tous les prêtres de prendre en charge l’éducation des enfants de leur paroisse. Ce qui se traduit dans les faits par la création d’écoles presbytérales, ou paroissiales.

L’enseignement est exclusivement dispensé en latin et son contenu est des plus limités. On commence par apprendre par cœur des textes sacrés, l’apprentissage de la lecture ne se faisant que par ce biais : à force d’entendre le texte et de le décrypter, l’enfant découvre les lettres et apprend à les assembler. Une fois la lecture et l’écriture acquises, la majeure partie du temps scolaire est consacrée… à la copie de psaumes. L’étude de textes profanes, littéraires, qui était le cœur du système d’apprentissage romain, est réduite à peu de choses.

C’est à ce stade qu’intervient Charlemagne. Qui, s’il n’a donc pas « inventé » l’école, a tout de même introduit quelques innovations. Favorisant les échanges culturels avec les grands centres d’enseignement qui commencent à voir le jour, notamment en Italie et en Angleterre, il contribue à faire évoluer les « programmes » eux-mêmes. À la grammaire viennent s’ajouter une introduction à l’arithmétique, à la géométrie, à l’astronomie et à la musique. Les siècles suivants voient le système scolaire se développer presque parallèlement à ce qui, progressivement, devient le royaume de France. À mesure que la dynastie capétienne renforce son emprise et esquisse une organisation administrative et politique dont le centre se trouve à Paris, le réseau d’enseignement, lui aussi, se rationalise. Dans les villes, on se regroupe par professions, créant de nouveaux corps intermédiaires. Les premiers groupements d’enseignants voient le jour aux XIIe et XIIIe siècles et adoptent, pour se désigner, la version latine du terme « association » : « universitas ».

Apparition des premières universités

L’essor est particulièrement fort à Paris : à Saint-Germain-des-Près, sur la montagne Sainte-Geneviève, sur l’île de la Cité, des écoles monastiques sont créées autour de quelques maîtres prestigieux. L’histoire a retenu quelques noms, dont le plus fameux est sans doute Pierre Abélard (dont l’œuvre de théologien et de philosophe ne se résume pas à ses échanges épistolaires avec la non moins fameuse Héloïse).

La grande concentration d’établissements au centre de la ville donne naissance au « Quartier latin » et Paris acquiert un rayonnement international de premier plan. Les étudiants commencent à affluer des pays voisins pour suivre les cours des maîtres les plus réputés. Le terme d’« université » ne doit toutefois pas tromper le lecteur : on est encore très loin des vastes facultés modernes et le terme désigne, à l’époque, des établissements de taille très modeste abritant au mieux 20 à 30 élèves.

Les futurs professeurs, placés sous l'autorité des évêques, suivent cinq à sept années d'études avant d'obtenir une licence d'enseigner.L’éducation de l’époque est scolastique. Un terme souvent utilisé de nos jours dans un sens péjoratif, par opposition à l’enseignement en vigueur à partir de la Renaissance, réputé plus « humaniste ». L’opposition est un peu caricaturale, mais pas dépourvue de fondements : au Moyen-Âge, c’est en effet la scolastique qui prévaut. C’est-à-dire un enseignement mêlant, en tâchant de les faire cohabiter de façon harmonieuse, les idées des pères de l’Église chrétienne et celles héritées des Grecs, essentiellement d’Aristote. Cet enseignement sera très critiqué par Luther, qui y verra un détournement du message biblique, une hellénisation inappropriée. Toutefois, on estime aujourd’hui que, s’il restait très axé sur la logique, l’enseignement scolastique ne délaissait pas totalement la littérature et accordait, contrairement à ce qu’on a pu dire, une place au caractère esthétique des œuvres étudiées.

L’enseignement se base sur l’étude des textes des auteurs reconnus, et le but est moins de maîtriser un sujet que de savoir précisément ce que ces auteurs ont écrit sur ledit sujet. Tout le dispositif est articulé autour de l’idée de « dispute » : on argumente et contre-argumente, on oppose les points de vue, on cherche la faille du raisonnement. Rabelais, et d’autres, excédé par ces débats sans fin, raille la cuistrerie de ceux qu’il appelle les « sorbonagres ». Quelques siècles plus tard, le sociologue Émile Durkheim réhabilitera en partie ce mode d’enseignement : les connaissances scientifiques et les moyens de validation expérimentale étaient si maigres à l’époque, écrit-il, que confronter les opinions était peut-être la moins mauvaise des solutions…

Les enseignants, quant à eux, sont, dans leur immense majorité, des clercs placés sous l’autorité des évêques. Après avoir suivi l’enseignement d’un maître pendant cinq à sept ans, ils se voient délivrer une licence d’enseigner, puis sont intronisés lors d’une cérémonie dite d’« inceptio ». Chaque maître enseigne dans un local qui lui appartient, à l’image de Robert de Sorbon, le chapelain de Saint-Louis, et de sa « Maison de la Sorbonne ». Souvent venus de loin, les étudiants – exclusivement des garçons, tout comme les maîtres sont tous des hommes – doivent trouver à se loger et, rapidement, se réunissent dans des foyers. Par commodité, on organise des cours dans les foyers en question, rebaptisés « collèges ».

Contestation de l'hégémonie de l'Église

Onze collèges voient le jour au XIIIe siècle, trente de plus au XIVe, et encore cinq au XVe. Mais ce développement s’accompagne de conflits de plus en plus fréquents. Car si le clergé catholique a théoriquement la haute main sur les questions d’éducation, les maîtres – dont certains n’ont de clerc que le titre – s’opposent régulièrement à la hiérarchie religieuse, notamment lorsqu’il s’agit de nommer de nouveaux enseignants. Lors­que le conflit s’avère insoluble, les maîtres se tournent souvent vers le pouvoir royal, qui ne demande évidemment pas mieux que de venir contester l’hégémonie des religieux et d’intervenir dans un domaine qui, en théorie, échappe complètement à sa compétence.

Habilement, les universitaires jouent alternativement une autorité contre l’autre. Au XIIIe siècle, le Pape Innocent III accorde des droits nouveaux à l’université de Paris, droits ensuite confirmés par Saint-Louis et Philippe Auguste. Deux siècles plus tard, après de violents heurts entre des étudiants turbulents et les autorités, Louis XI puis Louis XII, renforcent l’autorité des prévôts sur l’université. Manière, là encore, pour le pouvoir royal d’accroître son autorité sur une institution qui, trop souvent, y échappe.

De la déterminance au baccalauréat

Mais qu’apprend-on dans ces universités ? À l’origine, la spécialisation ne se fait pas par établissement, mais par ville. Paris devient ainsi le centre européen de référence pour l’apprentissage de la théologie, tandis que les jeunes gens qui veulent apprendre le droit doivent se rendre à Bologne, et les aspirants médecins à Montpellier. Un système contraignant qui ne dure guère : dès le XIIIe siècle, chaque ville se diversifie et, en 1222, l’université de Paris se scinde en quatre « facultés » dédiées respectivement à l’« art », à la théologie, au droit et à la médecine.

La faculté des arts, bien mal nommée selon nos critères modernes car l’enseignement n'y est pas à proprement parler artistique, est celle qui accueille le plus grand nombre d’étudiants. Plus jeunes que leurs collègues des autres facultés, moins formés, ceux-ci sont rapidement divisés en quatre « nations », selon leur origine géographique.

On délivre trois types de diplômes, qualifiés de « grades ». La « déterminance » peut être obtenue à l’âge de quatorze, quinze ou seize ans. L’examen consiste à argumenter pour défendre, publiquement, un point de vue. Au XVe siècle, la déterminance devient « baccalauréat », et le récipiendaire est appelé « bachelier ». Par cet examen, on considère qu’il passe d’une rive à une autre.

Les étudiants qui poursuivent leur cursus peuvent, après six ans d’études au minimum et donc à l’âge de 21 ans environ, décrocher une « licence ». L’examen consiste en une « dispute » qui se déroule devant un jury de maîtres. Le grade ultime est la « maîtrise ès arts », qui avec le temps deviendra le « doctorat ». Cette maîtrise, officialisée lors d’une cérémonie d’intronisation, donne au candidat le droit d’enseigner (puisqu’il est devenu « maître ») à son tour.

À la fin du XVe siècle, le système scolaire et universitaire paraît, sinon parfait, du moins complet et assez bien organisé. Il ne va pourtant pas tarder à être bouleversé. La Réforme est passée par là. Dans les villes, la bourgeoisie ne supporte plus d’être tenue à l’écart par la noblesse et le clergé, et le pouvoir royal en a conscience. Trop figée, l’université ne saura pas évoluer. Et c’est des collèges que naîtra, à la Renaissance, un tout nouveau système scolaire national.

En savoir plus

Histoire de l’enseignement et de l’éducation – tome 1 (Ve av. J.-C. – XVe siècle)
de Michel Rouche, Éditions Perrin (2003), 729 pages, 12 euros

Dernière modification le dimanche, 16 novembre 2014 19:34

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