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Entretien avec Philippe Meirieu

Entretien avec Philippe Meirieu Crédit photo : Pascal Fayolle/Sipa

Dans un ouvrage collectif, Le plaisir d’apprendre, le pédagogue Philippe Meirieu nous invite à une réflexion sur les problèmes que rencontre actuellement le système éducatif. Propos recueillis par Jean-Philippe Élie

Vous affirmez que le plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation. Cet acte a-t-il toujours existé ?

Philippe Meirieu : Il n'y a pas d'activité intellectuelle de haut niveau sans plaisir. Celles et ceux qui se sont instruits, qui ont découvert des savoirs, ont eu du plaisir à apprendre. Ce sont eux qui ont fait progresser les connaissances et les ont transmises à d'autres.

Il ne peut y avoir d'éducation sans la découverte du plaisir d’apprendre. Or, pourquoi y a-t-il aujourd’hui un problème ? Marcel Gauchet l'explique très bien dans le livre. Nous vivons une mutation anthropologique fondamentale : pendant des millénaires, les hommes ont souffert par le corps et se sont élevés par l'esprit. De nos jours, le lieu du plaisir, c'est le corps. Et, pour beaucoup d'enfants et d'adultes, l'apprentissage devient une source de difficultés, voire de souffrances. De manière caricaturale, l'école contraint les élèves à « se prendre la tête » quand ils ne demandent qu'à « prendre leur pied ». Nous vivons dans une exaltation de la jouissance du corps, avec toutes les prothèses possibles, qui délégitime assez largement le plaisir intellectuel. D'où l'importance fondamentale pour les enseignants de remettre « ce plaisir d'apprendre » au premier plan de leurs préoccupations et d’en faire un levier essentiel de la démocratisation de l’école.

Certes, il y a toujours eu des êtres qui ont vécu le plaisir d'apprendre. Cela concernait des sociétés où apprendre était perçu comme une forme d'élévation, d'accès vers des œuvres de l’esprit, évidemment réservées à un petit nombre mais considérées comme éminemment désirables, au-dessus de tout le reste. Aujourd'hui, ce que Bernard Stiegler nomme « le capitalisme pulsionnel » pousse les individus à consommer toujours plus, et de plus en plus rapidement. Apprendre apparaît donc comme une entrave à la jouissance immédiate au point que ceux qui ne savent pas quels trésors de satisfactions cela renferme peuvent même chercher à s'en passer.

Dans certains établissements, être en tête de classe est un handicap, on stigmatise l’intelligence et la connaissance. L’école n’est plus valorisée comme vecteur de réussite ?

PM : La promesse scolaire portée par l'élitisme républicain – « Travaille et tu réussiras, tu seras promu dans la société » – s'est effritée avec le temps. Toutes les évaluations et enquêtes montrent bien à quel point l’école peine à réduire les inégalités. On comprend que, dans ces conditions, l’effort intellectuel qu’elle demande soit globalement dévalorisé.

Pourquoi stigmatise-t-on le bon élève considéré comme un « bouffon » et, parfois même, comme une « lopette » ? Sans doute parce qu’il se soumet aux règles d’une institution scolaire assez largement délégitimée. Mais aussi parce que ses camarades ne croient plus dans la valeur de l’étude et du travail intellectuel.

« Rien n'est plus destructeur que de ne pouvoir jamais être fier de quoi que ce soit ! »Il serait intéressant, à cet égard, de comparer le comportement des filles et celui des garçons. Les premières ont de meilleurs résultats car elles fournissent, majoritairement, un plus gros travail, elles prennent le travail scolaire beaucoup plus au sérieux. Pour les seconds – et, en particulier, les « élèves difficiles » -, le fait de se plier aux règles de l'école est vécu comme une humiliation : ils ont trop perdu « au jeu » et considèrent qu’il ne faut plus jouer. Dans certains cas, même, ils développent une forme de violence, quand ce n'est pas de brutalité, qui met hors-la-loi la réflexion, la parole et le débat. Voilà qui est préoccupant pour l'école et la démocratie. Voilà à quoi notre école ne saurait se résigner.

L’école évolue vers un utilitarisme scolaire. Les parents et les élèves ne sont-ils pas devenus consommateurs d’un service ?

PM : Pour moi, l'école n'est pas un service, c'est une institution. Et la valeur d’une institution ne se mesure pas – ou, au moins, pas seulement - à la satisfaction de ses usagers : elle est liée, en revanche, à sa capacité à incarner des principes. Ainsi, ce qui fait la valeur de l’école, c'est sa capacité à incarner « le droit à l’éducation » pour toutes et tous : elle doit offrir à chaque élève, de manière équitable, les outils et les œuvres permettant de comprendre le monde et de le renouveler. Elle doit permettre à chacune et à chacun de découvrir le plaisir d’apprendre et la joie de comprendre, sans lesquels aucune véritable réussite scolaire n’est possible, aucun accès au débat et à la citoyenneté démocratique n’est envisageable.

Or, on voit bien que, comme la médecine ou la justice, l'école a subi une forme de désinstitutionalisation. Chacun considère que le plus important est la satisfaction de ses aspirations personnelles, même si c’est au détriment du projet collectif. Et cela est d’autant plus vrai quand ce projet collectif n’est pas suffisamment porté au niveau politique, quand il n’y a plus de cap éducatif clair et que l’on n’est pas mobilisé ensemble sur un avenir commun… C’est pourquoi, il ne sert à rien de stigmatiser l’individualisme des « consommateurs d’école » : il vaut mieux leur proposer une école dont l’ambition soit forte, à laquelle ils puissent adhérer et, même, qu’ils aient envie de contribuer à construire.

Ce consumérisme, est-ce une posture des enfants ou des parents ?

PM : C’est un comportement largement partagé… Et fortement encouragé par le système de notation comme par nos méthodes de sélection. Certains enseignants l’alimentent, d’ailleurs, à leur insu. Quand ils agissent comme si la bonne note ou la punition étaient les seuls moyens de mobiliser l’attention et l’effort des élèves. Ou bien encore quand ils leur laissent penser que seule l’utilisation immédiate en dehors de l’école des savoirs scolaires légitime leur enseignement. Ainsi, explique-t-on à un élève d’école primaire que l’apprentissage de la soustraction est nécessaire pour bien vérifier sa monnaie quand il fait ses courses… C’est vrai, mais cela ne peut pas être le seul moyen de le mobiliser sur les mathématiques, car cela abolit finalement la question fondamentale du plaisir d’apprendre et de comprendre… cela rabat la connaissance sur la seule utilisation matérielle à court terme ! C’est pourquoi faut absolument « réinternaliser » la question du plaisir d’apprendre, la mettre au cœur des pratiques pédagogiques.

Comment faire pour y parvenir ?

PM : Ce n’est pas facile tant la pression est forte ! Souvent, c’est l’élève lui-même qui demande : « À quoi ça sert ? ». Et nous devons lui montrer que ça sert d’abord à « se sentir intelligent ». Que la valeur des savoirs, ne se juge pas seulement à leur « employabilité » immédiate, mais à leur « saveur », à leur capacité à nous permettre d’y voir plus clair en nous et dans le monde, à la satisfaction que l’on peut avoir à faire des liens entre des faits désordonnés, à la joie de se dégager de notre chaos psychique pour penser et comprendre… Pour accéder à des outils transférables, à des concepts, des modèles et des théories... Pour prendre plaisir à découvrir des œuvres qui nous relient aux autres...

À lire

Retrouvez l'intégralité de l'interview de Philippe Meirieu dans le premier numéro de La revue de l'éducation, à télécharger ici gratuitement.

Dernière modification le vendredi, 13 novembre 2015 10:44

2 Commentaires

  • M. Aziz
    M. Aziz jeudi 29 mai 2014 11:50 Lien vers le commentaire

    C'est très intéressant. La possibilité de télécharger le n° 1 de la revue dans son intégralité gratuitement est gratifiant. je vous en remercie.

  • farge
    farge lundi 20 octobre 2014 20:38 Lien vers le commentaire

    bonsoir, merci , il est urgent de repenser l'école sans querelle, et donc de revenir à ses fondamentaux qui pourront eux seuls mettre d'accord tous les partenaires !

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